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La non-demande aux droits et services de l’Etat social : une ethnographie de pratiques contestataires subalternes.

Travail social

Frédérique Leresche

Traditionnellement, les politiques sociales s’inscrivent dans le prolongement de la citoyenneté sociale qui vise à offrir à chacun·e la possibilité de participer à la vie démocratique de manière égale. Elles sont généralement pensées comme bénéfiques pour les destinataires et dans cette perspective il n’y a aucune raison pour que les publics potentiels les refusent. Pourtant, la recherche sur le non-recours a montré l’existence d’une non-demande. Elle concerne les personnes qui savent au moins en partie où et comment obtenir une prestation mais qui ne le font pas. Peu d’études ont porté sur cette dimension volontaire du non-recours. Cela est probablement dû au fait que les droits sociaux sont pensés comme nécessairement bons pour leurs destinataire. Le fait de très peu questionner la positivité du droit, dans sa dimension exclusive ou productrice de normes, indique le caractère hégémonique de la représentation de l’État social. Dans ce contexte, la non-demande est difficilement entendable mais elle aussi difficile à entendre car elle portée par des personnes en situation de subalternité, c’est à dire des personnes qui se trouvent dans l’impossibilité de pouvoir contrôler le travail, la production ou le capital.
En partant du postulat que la non-demande peut être l’expression d’une critique du pouvoir symbolique et institutionnel de l’État, cette thèse explore les points de vue des personnes en situation pour comprendre en quoi, comment et pourquoi une partie des droits n’est pas réclamée. Elle s’appuie sur une enquête ethnographique par observations et entretiens menée entre 2016 et 2018. Elle montre que la non-demande n’est pas seulement ou pas toujours la conséquence d’un stigma ou d’un manque d’information, mais que les individus sont portés par des systèmes de valeurs et de normes qui leur permettent d’agir dans le monde, y compris dans des formes de protestation ordinaires et silencieuses. Elle montre aussi que la façon dont les personnes comprennent le droit définit l’usage qu’ils et elles en font. Elle met finalement au jour que les possibilités de refuser l’aide de l’État sont inégalement distribuées. Les mères de famille célibataires en particulier se retrouvent capturées par le droit dont elles ne peuvent se défaire ou alors au prix d’ajustements qui remettent en question les fondements même des politiques sociales.