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La langue française n’a pas toujours été dominée par le genre grammatical masculin.

Jusqu’au 17ème siècle, la féminisation des professions était logique. Les poétesses, médecines, professeuses, peintresses ou encore autrices avaient toute leur place dans la langue. Les vagues de masculinisation du 17ème siècle ont fortement contribué à l’invisibilisation des femmes, notamment par l’adoption du masculin comme valeur générique, conduisant à la règle grammaticale “le masculin l’emporte sur le féminin”.

Cinquante années de recherche scientifique en linguistique, psychologie, philosophie, sociologie et neurosciences montrent que la langue française est dominée par le masculin et invisibilise les femmes. Mais elle n’est pas figée, au contraire, elle est en constante évolution. 

 

Vagues de masculinisation du 17ème siècle

Dans une volonté de limiter l’accès des femmes à des métiers qui atteignaient certaines lettres de noblesse, les grammairiens du 17ème siècle décrétèrent que le genre masculin était plus noble que le féminin. Dès lors apparurent des modifications de règles grammaticales.

Ces modifications étaient sexistes et visaient à marquer les rapports de force entre les sexes. La règle « le genre le plus noble l’emporte », s’imposa et fut justifiée ainsi: « Le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble. » (Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue française, 1647).

Quant à l’Académie française, elle supprima certains noms féminins de métiers de son dictionnaire, comme mairesse, poétesse ou officière, signalant ainsi aux femmes que ces activités restaient l’apanage des hommes. Le masculin devint alors la valeur par défaut.

Aujourd’hui, adopter un langage non discriminatoire n’est donc pas une tentative de féminiser la langue française, mais bien de « mettre un terme à sa masculinisation » comme le note Eliane Viennot, historienne de la littérature.

Accord de proximité

Jusqu’au 19ème siècle, l’accord des adjectifs et des participes passés n’étaient quant à eux point régi par une règle grammaticale officielle. L’accord de proximité hérité du latin et du grec ancien était courant, ainsi Racine écrivait « ces trois jours et ces trois nuits entières ». (Racine, Athalie, 1691)

C’est dès la généralisation de l’école primaire, vers le milieu du même siècle, que « le masculin l’emporte sur le féminin » devint la règle par défaut.

Sens spécifique et sens générique

Au cours de l’apprentissage de la langue française, les élèves apprennent dans un premier temps que le masculin est la forme grammaticale qui désigne un ou plusieurs hommes et que le féminin, la forme qui désigne une ou plusieurs femmes. On parle alors du sens spécifique du masculin. 

Un étudiant se réfère à un homme qui étudie, de même qu’une étudiante à une femme qui étudie.

Ce n’est que dans un second que les élèves apprennent l’interprétation générique du masculin, aussi appelée “neutre” ou “universelle”. Le masculin est alors gratifié d’un second sens, à savoir qu’il peut désigner soit un groupe mixte de personnes, soit des personnes dont le genre n’est pas connu ou non pertinent. On parle alors du sens générique du masculin. C’est ce sens qui pose problème. 

Des étudiants se réfère à des hommes qui étudient, mais peut aussi se référer à un groupe mixte ou à des personnes dont le genre n’est pas connu ou non pertinent. 

Bien que cette règle grammaticale soit facile à apprendre et comprendre, elle reste difficile à appliquer.

Une ambiguïté difficile à gérer

Dès l’enfance, le cerveau gère mal l’aléatoire ou l’ambiguïté. Il a sans cesse besoin d’activer les distinctions femmes/hommes dans les contextes genrés. D’autant plus lorsqu’il est en présence de stéréotypes de genre. Pratiquement toutes les études montrent que le cerveau peine énormément à considérer le sens générique comme neutre ou universel: l’usage du masculin comme générique entraîne la formation inconsciente, automatique et spontanée d’une image mentale constituée d’une majorité d’hommes.

A l’heure actuelle, on peut affirmer qu’il nous est même impossible de contrôler l’activation masculin = homme dans notre cerveau, même si l’on nous rappelle que la forme grammaticale masculine est gratifiée de deux sens.En d’autres termes, la forme masculine générique échoue en sa tentative d’inclure les femmes, car notre système cognitif peine énormément à considérer ce générique comme neutre ou universel.

Langue genrée et égalité

Censé inclure femmes et hommes dans une formulation neutre, le masculin générique s’avère réducteur et contribue à rendre les femmes et les autres personnes dont le genre n’est pas masculin moins visibles dans la langue. Si les effets induits sur la société sont complexes, des études ont néanmoins cherché à les mesurer en comparant un grand nombre de pays dont les langues sont plus ou moins genrées. Elles concluent que les pays dont la langue est genrée, comme la France ou l’Allemagne sont moins égalitaires que ceux dont la langue est neutre, comme le Danemark ou la Finlande. 

 

Des informations supplémentaires sont disponible sur les pages "langage inclusif" de l'EPFL qui nous a autorisé à nous en inspirer pour créer les ressources spécifiques à la HES-SO.

Vidéos

11.03.2019 – ARTE, Karambolage - Le masculin l’emporte sur le féminin

19.12.2017 – L’Obs - François Reynaert, Sexisme et écriture inclusive: le masculin doit-il forcément l’emporter sur le féminin ?

Bibliographie

Gygax Pascal, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel. 2021. Le cerveau pense-t-il au masculin? Cerveau, langage et représentations sexistes. Paris, Le Robert.

Nouvelles Questions Féministes (NQF), revue internationale francophone. 2007. Parité linguistique. Vol 26(3).